Marie-Catherine Delacroix a été responsable pendant 15 ans de l’association Cinéam qui collecte, conserve et diffuse les films amateurs du département de l’Essonne en Ile-de-France. Elle nous raconte aujourd’hui l’invraisemblable histoire du tout premier film de ce fonds d’archives audiovisuelles.
L’histoire commence avec la découverte d’une collection de films abandonnés dans une remise à vélos, au fond d’un jardin chez une amie. C’était il y a 19 ans. J’étais sur le point de créer Cinéam, sans aucune expérience des archives audiovisuelles et de la documentation. Avec une mère antiquaire, je connaissais les bonheurs des découvertes de trésors dans les caves et les greniers. Ça ferait bien l’affaire ! Cinéam débutait.
Revenons à la découverte de la grande malle ! À l’intérieur, 32 bobines en 9,5 mm et 16 mm tournées par Georges Moreau de 1923 à 1964 ; tous les films sont datés et ont un titre dactylographié. Ils seront pris en charge et diffusés très régulièrement dans les projections organisées par l’association : le public les aime.
Pendant toutes ces années, Cinéam poursuit ses missions et se développe. Laurence Bazin reprend la direction de l’association et l’hiver dernier, au cours d’une projection au cinéma de Palaiseau, Alain Esmery, invité en tant qu’expert du cinéma amateur, pose une question déstabilisante en voyant le “Mariage de Georges, 25 janvier 1923”. Comment est-il possible que ce film tourné en 9,5 mm soit daté du début de l’année 1923 alors que la caméra Pathé-Baby a été commercialisée à partir de juillet 1923 ?
Voilà une véritable énigme ! Une enquête démarre. Laurence rencontre Anne Gourdet-Marès de la fondation Jérôme Seydoux-Pathé qui, à sa grande surprise, connaît Georges Moreau, le jeune marié du film ! Passionnée par le format 9,5 mm, elle a lu ses comptes rendus d’expériences dans les cahiers de recherche des usines Pathé, et se souvient très bien d’un article paru dans un bulletin professionnel en 1967. L’ingénieur Louis Didiée y raconte la “petit histoire du Pathé-Baby” :
[…] Un jour nous arriva une caméra pouvant passer du 9,5 mm. C’était le prototype ou plutôt un des prototypes. Alors commencèrent des essais de prise de vue à l’usine. […] En janvier fut fait le premier film à l’extérieur. Ce fut à l’occasion du mariage de notre collègue Georges Moreau à Charenton. G. Zelger se réservait de tourner la manivelle, arguant qu’il avait la main très régulière pour tourner à deux tours seconde (sur l’air de Sambre et Meuse). Il s’agissait d’autre part de mettre le bon diaphragme. Un petit photomètre alors nommé “actinomètre”, que nous avions construit et longuement expérimenté, nous permit de trouver la bonne exposition. Inutile de dire que ce film fut développé par nous avec le plus grand soin. Quand apparurent les premières images négatives – on développait alors en lumière rouge – G. Zelger poussa un cri de joie. Restait à réussir l’inversion. Tout se passa normalement y compris le séchage (le long d’un fil de fer tendu dans le laboratoire) et le film put être projeté et, quelques jours après, montré aux dirigeants pour justifier la mise au point du procédé, et aux figurants du film pour leur plus grande satisfaction. […]
Le mystère était éclairci et nous apprenions que Cinéam conservait le film 9,5 mm le plus ancien au monde !
Marie-Catherine Delacroix, avril 2017
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Laurence Bazin a aussi raconté cette histoire à travers un court métrage de 4 minutes, visionnable en ligne : https://vimeo.com/215546834